Par Aito Osemegbe Joseph Sales Manager chez Unilever || Key Account Management || ChannelManagement || Route to Market Development.
Article paru le 8 février 2020 sur Linkedin
Chinedu Okorafor a quitté son village dans l’est du Nigeria pour s’installer à Lagos en 2016. Lorsqu’il a pu s’offrir le bus de nuit, il pris la route pour Lagos, la ville de tous les possibles. À son arrivée, il a mille Naira en poche, un sac Bagco contenant deux jeans et deux chemises, et c’était tout ce qu’il possédait. Aujourd’hui, quatre ans après son arrivée à Lagos, Chinedu gagne près de un million de Naira par mois et ce grâce à la vente ambulante.
Ce qui pour moi n’était qu’au départ l’achat de snack à un vendeur ambulant ordinaire, s’est finalement transformé en une discussion approfondie sur la vente directe aux consommateurs au Nigéria.
Toutes les grandes agglomérations connaissent un trafic important, ce qui influence incontestablement les habitudes quotidiennes et la culture de ces villes. Pour Lagos, épicentre du commerce au Nigéria, la circulation intense détermine le rythme de vie et impacte l’organisation des déplacements des habitants. Mais le phénomène le plus amusant qu’offre les embouteillages à Lagos c’est cette impression de circuler dans un centre commercial. On y trouve un large éventail de produits, allant du plus indispensable au plus raffinés. Trente minutes dans la circulation et vous pourriez en ressortir avec un matelas gonflable et une pompe à air sur le siège arrière et les plats vides de votre déjeuner sur le siège passager. Les marchands ambulants vendent également des biens durables, des appareils électroniques, des vêtements, des accessoires et des livres.
Une étude réalisée par le Journal of Marketing and Consumer Research datant de 2015 montre qu’environ 41 % des vendeurs ambulants gagnent un revenu mensuel de plus de 200 000 N, tandis que les vendeurs les moins bien payés gagnent environ 20 000 N. C’est pourquoi l’histoire de Chinedu est particulièrement fascinante.
Comment est-il passé, en quatre ans, du revenu de 20 000 N du débutant moyen à 1 000 000 N ?
Chinedu, qui a tenu à me dire qu’il est maintenant un chef attitré dans son village, a fait une analyse des bénéfices avec moi. Au cours de son troisième mois de vente, il faisait un bénéfice de 5 N sur chaque unité de Gala (rouleau de saucisse emballée) qu’il vendait et réalisait une vente moyenne de 300 unités par jour, uniquement dans le trafic du Mile 2. Cela correspond à peu près à 40 000 N par mois, car Chinedu, comme beaucoup d’autres vendeurs ambulants, travaille le dimanche pendant un temps limité car il va à la messe, se repose et répond aux sollicitations téléphoniques qu’il a dû mettre en attente toute la semaine.
Au cours de son sixième mois d’activité, Chinedu a exploré les points de circulation les plus chauds de Lagos et a décidé de s’installer à Oshodi. Il a commencé à vendre 10 cartons par jour, soit plus du triple de ses ventes quotidiennes moyennes précédentes, et son revenu mensuel est passé à 150 000 N.
Pourtant, le grand saut s’est fait des mois plus tard, lorsque Chinedu est retourné dans son village pour Noël. Avec des centaines de jeunes sans emploi son histoire a fait le tour du village. Il n’est certes pas revenu avec un tas de voitures ou de billets de banque mais les jeunes, hommes et femmes, sont tombés amoureux de son aventure lagosienne. Il est reparti à Lagos avec douze jeunes d’entre-eux et comme les histoires populaires des disciples, ceux-ci l’ont adoré, se sont appuyés sur lui et l’ont laissé les guider. Avec eux, Chinedu a créé une société informelle de distribution. Il achetait des rouleaux de saucisses, en espèces, à des points de vente en gros, et les revendait aux douze, en dégageant 30% de profit. Cette relation avait un coût. En plus de leur offrir un rêve auquel aspirer, il payait leur logement et organisait régulièrement des dîners après une longue journée de course sur les routes de Lagos.
Chinedu aurait pu s’installer dans son rôle d’intermédiaire et littéralement sortir de la rue, mais il ne l’a pas fait. Il était là avec ses gars, un carton de rouleaux de saucisses sur les épaules et une paire de sandales usées à ses pieds. Fin 2018, environ deux ans après son arrivée à Lagos, il avait plus de 100 jeunes hommes et femmes qui lui achetaient des biens de consommation en direct, au moins une fois par semaine.
Chinedu n’arrêtait toujours pas de courir après les voitures et de transpirer sous la chaleur du soleil de Lagos. Il affirme que c’est son secret : savoir ce qui marche et ce qui ne marche pas dans cette circulation. À cette époque, Chinedu gagnait en moyenne 550 000 N par mois (environ 3 000 N pour chacun des colporteurs qui lui achetaient, soit un total de 300 000 N, et 250 000 N pour ses propres ventes directes).
C’est à cette époque que Chinedu s’est diversifié en abandonnant les rouleaux de saucisses et a élargi son portefeuille, en explorant de nouveaux produits avec de meilleures marges. Gaufrettes Pure Bliss, boissons gazeuses Bigi, chips de plantain, etc. Son bénéfice moyen par unité vendue s’élevait à 38% du coût unitaire. Les dirigeants de multinationales ont commencé à le solliciter car il leur proposait un service unique. Lorsqu’ils ont besoin d’une augmentation rapide des ventes, pour finir le mois en beauté, ils lui rendent visite, en lui offrant une remise plus importante que d’habitude.
Dans le même ordre d’idées, lorsque les produits alimentaires sont proches de leur date de péremption, ces sociétés lui offrent des rabais ridicules, allant parfois jusqu’à 60%, pour écouler le stock. Grâce à son réseau de colporteurs, il vend rapidement à des clients qui n’ont pas à conserver les produits plus longtemps que quelques minutes ou quelques heures.
Habituellement, les entreprises retirent les produits proches de la date de péremption des rayons des hypermarchés et des magasins de quartier, et essaient de les revendre par des canaux plus rapides, ou peuvent avoir à les écouler à perte pour l’entreprise s’ils sont périmés. L’organisation de Chinedu, l’une des centaines d’organisations similaires à Lagos, résout une grande partie de ce problème pour les entreprises de biens de consommation.
Chinedu a également joué un rôle déterminant dans l’entrée de nouveaux produits sur le marché. Outre les efforts de marketing et de création d’une marque, un nouveau produit a principalement besoin d’être distribué et d’avoir un impact. Alors que les activités de promotion et de publicité peuvent stimuler la distribution, la visibilité et les ventes de biens de consommation, le canal VDC/colporteur s’est révélé être un canal de pénétration rapide et adéquat.
La façon dont les médias rejouent une chanson moyenne jusqu’à ce qu’elle sonne assez bien, est la même que celle dont les colporteurs peuvent faire aimer un nouveau produit aux consommateurs. Avec un bon produit et une bonne stratégie de prix, c’est le canal gagnant pour l’entrée sur le marché des biens de consommation. Les gaufrettes Pure Bliss, les boissons Bigi, les roulés à la saucisse Rite, le pop-corn Popstar, les chips au plantain Red Oaks, le chinchin Yucca & Minimee sont des produits qui ont profité du canal VDC des vendeurs ambulants.
Ce canal est généralement non structuré. Pas de déclarations fiscales, pas d’enregistrement d’entreprise, pas de bureaux ou de processus d’emploi structuré. C’est l’offre, qui augmente sans cesse pour répondre à la demande, sans attendre les autorisations. Au fil des ans, plusieurs entreprises ont essayé, sans grand succès, d’apporter une certaine structure, une forme, au canal VDC. Des ambassadeurs de marque employés et en uniforme qui font du porte-à-porte et des échantillonnages ou qui se rassemblent aux feux de circulation en tenant des bas de nylon fantaisie contenant un assortiment de produits différents, voilà le tableau que nous voyons pendant quelques semaines, et ils disparaissent pendant des mois.
L’inconvénient apparent de la structuration de la VDC est la sensibilité au prix et le manque de confiance du consommateur final, ainsi que l’importance des bénéfices/récompenses du côté des ambassadeurs/agents. En ce qui concerne l’exécution, il reste à développer un programme de formation sur la façon de rattraper les bus en mouvement ou de se faufiler dans un labyrinthe de véhicules, inlassablement, sous une chaleur étouffante, tout en esquivant les agents des recettes publiques. C’est une chose que Chinedu et le colporteur typique de Lagos ont, du cran et de la résistance à toute épreuve !
Il y a aussi le fossé des connaissances. Il n’y a pas assez d’études ou de données montrant les zones à forte circulation et leurs temps de circulation. Il n’y a pas de données sur le profil des consommateurs sur les différents itinéraires. Chinedu est facilement en mesure de classer Berger comme le numéro un de la qualité du trafic dans tout le pays, suivi par Oshodi, Yaba, Obalende et Ajah, avant d’autres endroits comme Mile 2, Orile, Iyana Ipaja et Agege.
Son expérience et ses connaissances, son réseau de distribution de plus de 100 colporteurs et ses relations avec les principaux distributeurs de l’industrie des biens de consommation sont ce qui lui a permis d’augmenter ses revenus à plus d’un million de nairas en moins de cinq ans.
Chinedu trouve parfois amusantes ses relations avec les acheteurs. Il a raconté comment, parfois, par pitié, un consommateur jette N50 par la fenêtre d’un bus, à un colporteur en sueur dans la circulation. Comment les clients ont le visage qui rayonne de leur apparente générosité quand ils laissent parfois la monnaie au colporteur. Il a notamment parlé des guichetiers de banque qui gagnent 35 000 N par mois et qui regardent avec mépris ou parlent grossièrement à ces colporteurs qui peuvent tout aussi bien gagner dix fois leur salaire.
Après des heures de discussions avec Chinedu, et plusieurs séries de calculs sur le profit, la marge, les coûts et le revenu total, j’avais beaucoup appris sur la vie du colporteur, mais la partie la plus fascinante de ma discussion avec lui était peut-être centrée sur son aspiration. Il cherche à s’intégrer à l’envers ; il a créé une usine de production pour fabriquer sa propre marque spéciale de pop-corn, de rouleaux de saucisses et de boissons gazeuses. Il n’a aucun intérêt pour l’enseignement universitaire. Il n’est pas non plus d’accord avec moi lorsque j’insinue que la situation de la circulation à Lagos va s’améliorer.